Parmi les forums des droits humains à l’ONU, les États africains ont la réputation de voter en tant que bloc, obstruant les droits humains et défendant la souveraineté des pays en développement. En effet, en 2011, Bertrand Ramcharan, un spécialiste respecté des droits humains et ancien Haut-Commissaire en exercice (par intérim), s’est plaint que les groupes africains et asiatiques, qui occupent ensemble 26 sièges sur 47 au Conseil des Droits de l’Homme, se liguaient entre eux afin d’empêcher le Conseil de discuter et d’analyser un certain éventail de violations de droits humains.[1]
Un rapport récent, écrit au Département des Études Politiques et Internationales de l’Université de Rhodes et publié par l’Institut Sud-Africain d’Affaires Internationales, a examiné les archives de 14 pays africains ayant servi au Conseil des Droits de l’Homme durant 2017[2]. Le rapport se concentre sur les positions que ces pays ont prises sur des résolutions de 2017 traitant de situations spécifiques à un pays et de sujets relatifs aux droits civils et politiques.
Les origines de ce rapport, avec les chapitres sur les pays écrits par des étudiants, s’établissent dans les protestations et débats récents au sein des campus universitaires d’Afrique du Sud concernant le besoin de ‘décoloniser le curriculum.’ Le rapport, un exemple d’africains faisant un travail de recherche sur l’Afrique, cherche à répondre à cet intérêt.
Les conclusions de ce rapport remettent en question certaines idées reçues. Contrairement à l’opinion établie selon laquelle les États africains votent toujours en tant que bloc, le rapport nous montre qu’en réalité ils votent rarement à l’unisson, du moins en ce qui concerne les problèmes de droits humains relatifs à un pays ainsi que les droits civils et politiques. Le rapport couvre 33 votes (19 sur des résolutions et 14 sur ce que l’on appelle des ‘amendements hostiles’). C’est sur seulement 3 votes que les États africains ont voté de la même façon (2 sur des résolutions concernant le racisme, une sur une résolution anti-LGBT ‘Protection de la Famille’).
De plus, les États africains ne sont pas les ‘opposants’ systématiques des standards des droits humains internationaux et du progrès comme ils le sont parfois représentés. Certes, des États membres du Conseil comme l’Égypte et le Burundi sont généralement des ‘opposants’ aux droits humains internationaux ; mais les États comme le Botswana, le Ghana et le Rwanda ont eu des votes forts au sein du Conseil.
Le principe de souveraineté peut prodiguer une certaine protection aux États faibles contre ceux plus forts. Cependant, et de façon surprenante, les États africains ont été prêts à suivre et même soutenir des mesures intrusives contre des États qui violent les droits humains. Par exemple, la Somalie et Djibouti ont co-écrit une résolution afin d’avoir un expert de l’ONU examiner la situation des droits humain en Érythrée, une résolution qui a été votée sans vote négatif. En Décembre 2017, la plupart des États africains ont voté en faveur de la résolution condamnant les persécutions du peuple Rohingya au Myanmar et autorisant une enquête sur leur situation de détresse. Dans le cas du Burundi, les votes du Groupe Africain sont certes imparfaits mais ne sont pas décourageants. En Septembre 2017, le Conseil a adopté deux résolutions sur le Burundi. La première était une résolution co-écrite par le Groupe Africain et s’est avérée être une tentative de dissimulation des violations récentes s’étant produites dans le pays. 12 des membres du Groupe Africain sur 13 ont voté en faveur de cette résolution. La seconde résolution, écrite par l’UE, était bien plus intrusive (elle avait pour but de prolonger le mandat de la Commission d’Enquête sur les crimes de droits humains au Burundi). Deux États africains (Botswana et le Rwanda) ont voté en faveur de la résolution de l’UE et 6 se sont abstenus.
Pour conclure, le Conseil, tout comme sa prédécesseuse la Commission des Droits de l’Homme, a souvent été critiqué pour admettre au sein de ses membres des pays violant les droits humains. Pour Nikki Haley, première ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies de l’administration de Trump, une réforme de l’adhésion au Conseil était une des conditions pour que le pays ne se retire pas de l’organisme [3]. Seulement 4 membres africains du Conseil en 2017 (Botswana, Ghana, Afrique du Sud et la Tunisie) été considérés comme étant ‘libres’ d’après la catégorisation de la Freedom House. Si le respect des droits humains au niveau domestique était un critère strict d’adhésion, les cinq pays d’Afrique membre du Conseil en 2017 considérés comme étant ‘non libres’ (Burundi, Congo, Égypte, Éthiopie et Rwanda) n’auraient pas pu faire partie du Conseil. Cependant, le rapport montre que les choses sont plus compliquées que cela. Les États plus répressifs peuvent parfois être de forts partisans aux standards des droits humains internationaux, tandis que des États respectant les droits sur la plan domestique peuvent s’y opposer ou manquer à les soutenir au niveau international. En revanche, comme le montrent l’échec de l’Afrique du Sud à soutenir des résolutions essentielles spécifiques à un pays (autre que sur l’Israël) et son soutien pour un amendement chinois attaquant la société civile, des archives positives de respects de droits au niveau domestique ne représentent pas une garantie de soutien des droits humains au niveau international.
Eduard Jordaan, Chargé de Recherche, Département des Études Politiques et Internationales, Université de Rhodes.
[1]Betrand Ramcharan, The UN Human Rights Council (London: Routledge, 2011), p. 13.
[2]Eduard Jordaan (ed.), ‘African states at the UN Human Rights Council in 2017’, South African Institute of International Affairs (August 2019), https://saiia.org.za/research/african-states-at-the-un-human-rights-council-in-2017/
[3]Nikki Haley, ‘Remarks at the Graduate Institute of Geneva on “A Place for Conscience: The Future of the United States in the Human Rights Council”,’ 6 June 2017, https://usun.state.gov/remarks/7828
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